"Le fameux édit promulgué par Louis XIV en novembre
1696 ne visait nullement à limiter le port d'armoiries à
certaines catégories sociales, comme on l'a trop souvent affirmé.
Son but prétendu était de 'remédier aux nombreux
abus commis contre le droit héraldique', surtout en matière
de brisures, d'écus timbrés, de changements et d'usurpations
d'armoiries. Son but véritable, on le sait, était d'ordre
purement fiscal : c'était un moyen parmi d'autres, pour tenter
de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat vidées
par les guerres de la Ligue d'Augsbourg. De ce point de vue, il ne fut
d'ailleurs pas totalement inefficace. L'édit créait deux
institutions : d'une part des maîtrises régionales chargées,
sous la direction d'une 'grande maîtrise de Paris', de connaître
et de regler toutes les choses héraldiques; d'autre part, un Armorial
général (dépot public des armes et blasons), où
seraient recensées toutes les armoiries portées dans le
royaume, tant par les nobles que par les roturiers, tant par les individus
que par les communautés.
Cette seconde création était la plus importante. Sous peine
d'une amende de 300 livres et de la confiscation de leurs biens meubles
armoriés, devaient y faire enregistrer leurs armes dans un délai
de deux mois, tous les nobles, tous les ecclésisatiques, toutes
les administrations, institutions et corporations, toutes les maisons
religieuses, tous les bourgeois des 'villes franches', et tous ceux qui
'par leur mérite personnel tenaient un rang d'honneur et de distinction...
dans leur corps, compagnies et communautez'. Cette dernière formule
très vague confirme qu'en fait tous ceux qui possèdaient
des armoiries devaient les faire enregistrer. Dans chaque maîtrise
des bureaux furent installer à cet effet. Les armoiries y étaient
reçues puis envoyées à la grande maîtrise de
Paris, où elles étaient vérifiées, éventuellement
corrigées, et enfin enregistrées dans l'Armorial général.
Un brevet était alors délivré à l'impétrant,
qui devait acquitter un droit d'enregistrement dont le montant était
variable. Il était fixé à 20 livres pour les particuliers.
Ceux qui désiraient par la suite modifier leurs armes devaient
à nouveau les faire enregistrer et payer ce droit.
Malgré les menaces d'amendes et de confiscation énoncées
par différents arrêts du Conseil du roi tout au long de l'année
1697, les enregistrements ne furent pas très nombreux. Ils furent
surtout le fait de nobles et de communautés religieuses. C'est
pourquoi un nouvel arrêt du Conseil du 3 décembre 1697 décida,
dans chaque généralité, l'établissement de
'rôles', sur lesquels seraient inscrits tous les particuliers et
toutes les communautés jugées 'capable' de porter des armoiries.
Après la publication des rôles, ils auraient huit jours pour
les faire enregistrer, faute de quoi ils s'en verraient attribuer d'office.
Nombreux furent ainsi ceux -homme de loi, bourgeois, marchands, artisans,
écclésiastiques, villes, associations, etc...- qui n'avaient
pas songé à porter des armoiries et qui furent obligés
d'en adopter et de payer le droit d'enregistrement correspondant. Ce fut
pour eux que d'Hozier et ses commis fabriquèrent ces séries
d'écus semblables, construits sur le jeu des émaux et des
figures, et attribués d'office à tous les habitants d'une
même généralité. Ce fut également à
cette occasion que furent créées quantité d'armes
parlantes ridicules, soigneusement consignées dans l'Armorial général,
mais dont les propriétaires ne firent jamais usage.
Pendant deux ans, l'édit de 1696 et l'arrêt de 1697 furent
appliqués d'une manière assez stricte. Amendes et saisies
ne furent pas rares, donnant lieu à des abus d'autant plus fréquents
que la plupart des recettes avaient été affermées.
Dans certaines généralités, le zèle excessif
des traitants entraina des émeutes, notamment de la part de gens
de condition modeste qui s'étaient vus contraints d'adopter des
armories. Finalement, le 17 décembre 1699, le Conseil du roi dut
promulguer un nouvel arrêt qui dispensait de l'enregistrement et
des droits qui s'y rattachaient un certain nombre d'individus et de communautés
jugés trop pauvres pour faire usage d'armoiries. Ce fut le commencement
de la fin : peu à peu l'édit fut de plus en plus mollement
appliqué. Les différentes maîtrises régionales
furent une à une supprimées. Les enregistrements dans l'Armorial
général se firent de plus en plus rares, et cessèrent
définitivement en 1709. Dès lors chacun fut à nouveau
libre de porter les armes de son choix, ou de ne pas en adopter.
Extrait de l'ouvrage de Michel Pastoureau : Traité
d'Héraldique. |